Facebook prêt à transmettre les adresses IP pour des messages haineux

26 juin 2019 | Interview presse écrite

Facebook déclare avoir décidé de transmettre les adresses IP des auteurs de propos haineux aux juges français. Cette décision sera-t-elle vraiment contraignante pour les harceleurs et auteurs de messages insultants ? La réponse de deux spécialistes du droit de l'internet dont Me Alexandre Lazarègue.

Par

alexander

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RÉSEAUX SOCIAUX – “IP IP IP hourra” ? Facebook avait déjà du mal avec les pseudos mais à en croire le secrétaire d’État au numérique, Cédric O, il vient de passer une nouvelle étape.

Ce mardi 25 juin, le membre du gouvernement a annoncé ce qu’il estime être une ”énorme nouvelle” à l’occasion d’une interview à Reuters. Dans la foulée d’un entretien avec Nick Clegg, responsable de la communication et des affaires publiques chez Facebook, la semaine dernière, le réseau social de Mark Zuckerberg a accepté de transmettre à la justice française les adresses IP des auteurs de contenus haineux. Un vrai chamboulement ?

Ce que ça va changer pour les victimes 

Sur le papier et en théorie selon Alexandre Lazarègue, avocat dédié au droit du numérique et des données personnelles, contacté par Le HuffPost, l’annonce de Facebook va effectivement dans le bon sens. “Aujourd’hui d’une manière générale, dans les cas de diffamation, d’injures ou de propos haineux sur internet, il est extrêmement difficile d’obtenir l’identité des auteurs de la part de Facebook. Dans les affaires qui sont portées en justice, il faut que le juge d’instruction fasse la demande auprès de l’entreprise privée et cela a un coût important en termes de procédure puisqu’il faut traduire l’ensemble des documents, les envoyer aux États-Unis, etc. C’est aussi particulièrement lent, et surtout Facebook refuse de manière aléatoire de transmettre l’adresse IP sauf pour les cas de pédopornographie et de terrorisme”, explique-t-il. 

Maître Lazarègue rappelle d’ailleurs que ces affaires, dans lesquelles s’est notamment spécialisée la 17ème chambre du tribunal de Paris et qui mettent en moyenne deux ans pour aboutir, peuvent très bien toucher les particuliers, mais aussi les entreprises qui peuvent se retrouver “victimes de concurrences déloyales de par des manœuvres de dénigrement et de harcèlement”.

Est-ce que cette décision sera efficace ?

“On peut légitimement penser que cet accord entre Facebook et la France aura un effet dissuasif sur les utilisateurs lambda qui pensent se cacher derrière un pseudo et qu’ils y réfléchiront à deux fois avant de poster des propos diffamant ou injurieux. Pour autant, l’adresse IP reste une source de confusion. Il est assez facile pour des personnes un peu expérimentées d’utiliser une autre adresse IP que celle qui permet de les identifier. En matière juridique ce n’est pas suffisant pour juger quelqu’un”, assure Alexandre Lazarègue.

Toutefois, pour Anthony Bem, avocat également contacté par Le HuffPost, l’effet dissuasif de l’annonce reste à prouver. “J’ai défendu de nombreux clients accusés d’injures et il y a un aspect psychologique qu’on ne peut pas évacuer, selon moi. Quand les gens sont chez eux, sur leur canapé, dans le confort de leur maison, ils ne se rendent pas compte de ce qu’ils encourent quand ils tiennent des propos diffamatoires. Ils s’expriment comme dans leur journal intime”, dit-il tout en ajoutant: “Quant aux trolls qui représentent une petite partie des internautes, ils sauront parfaitement manœuvrer pour ne pas être identifiés”.

Les deux avocats pointent également la nécessité de se lancer dans une procédure juridique qui peut en soi être dissuasive pour certaines victimes. 

Une contrainte pour Facebook ? 

Enfin, tant pour Anthony Bem que pour Alexandra Lazarègue, l’annonce faite par Cédric O n’a aucun caractère contraignant pour Facebook, tous les deux y voient surtout un effet de communication pour la firme de Mark Zuckerberg. “Cet accord n’entre pas dans un cadre légal, et Facebook est une entreprise privée. C’est donc elle qui, au final, aura le loisir de donner ou pas l’adresse IP. Je m’interroge aussi sur la qualification de “haineux”. Sera-t-il suffisant qu’elle soit caractérisée sur le plan judiciaire ou Facebook aura son mot à dire?”, questionne Alexandre Lazarègue, regrettant que l’État n’agisse pas plus largement dans un cadre juridique pour faire lever l’anonymat dans les cas de contenus diffamatoire ou injurieux.

Pour Anthony Bem, il est nécessaire d’attendre afin de pouvoir observer d’éventuelles conséquences de cette annonce. En revanche, l’avocat se montre peu optimiste quand à la possibilité d’agir sur un cadre légal. “Facebook est une entreprise américaine qui sera toujours abritée par le premier amendement de la Constitution américaine qui protège la liberté d’expression. Quand bien même une décision aboutirait contre Facebook, il est extrêmement compliqué de la faire homologuer au niveau américain. C’est aujourd’hui un problème, le monde de l’internet n’a pas de frontière et tout se fait au bon vouloir ou via des accords entre les différents acteurs”, ajoute-t-il. 

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alexander

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Pour le magazine Eco Réseau, je prends acte que notre métier connaît une mutation profonde. Les nouvelles problématiques juridiques auxquelles se heurtent notre société mondialisée nous invitent, plus que jamais, à nous faire des auxiliaires de justice contribuant à dire et à faire le droit.

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